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SASHA DENISOVA

Golem

traduction Tania Moguilevskaia et Gilles Morel


Extrait du texte


SCÈNE 1. ARRIVÉE

Martha, avec une valise, s’approche d’une porte, rassemble ses esprits et sonne. Elle attend. Enfin, une voix se fait enfin entendre derrière la porte.

MARIA. – C’est qui ?

MARTHA. – C'est moi, Martha.

MARIA. – C’est qui ?

MARTHA. – Excusez-moi, Maria habite-t-elle bien ici ?

MARIA. – Oui. C’est pour quoi ?

MARTHA. – C'est Martha. L'ex-femme de Max.

Maria, après une pause. – Vous êtes seule ?

MARTHA. – Seule.

MARIA. – Il n'y a personne d'autre avec vous ?

MARTHA. – Non. Je suis seule.

MARIA. – Personne sur le palier ?

Martha, regarde autour d'elle. – Personne.

Maria ouvre la porte et dit en chuchotant.

MARIA. – Vite, vite, entrez. Plus vite !

Martha entre, pose sa valise, retire ses lunettes avant de serrer Maria dans ses bras.

MARTHA. – Nous nous voyons enfin. Dire qu'il ne nous a jamais présentées l’une à l’autre...

MARIA. – Je lui ai proposé. Mais il ne voulait pas.

MARTHA. – Oui... Et maintenant, c’est dans ces circonstances. Je suis désolée de ne pas avoir pu venir plus tôt. Ma Première à New York, je ne pouvais pas laisser tomber. Mais dès que le corps a été rendu, j'ai compris que je ne pouvais pas ne pas venir. Pour ses funérailles.

MARIA. – Entrez je vous en prie, laissez vos affaires ici. Vous voulez du café ?

MARTHA. – Oui, j'en serais ravie. Le voyage a été difficile, deux avions, un train. Il n'y avait pas de vol direct pour Varsovie, alors j'ai dû passer par Paris. Et puis ce train pas vraiment confortable jusqu'à Kiev.

MARIA. – On déjeunera un peu plus tard.

MARTHA. – Quand votre fille reviendra de l'école ?

MARIA. – Ma fille vit pour l'instant chez mes parents.

MARTHA. – Hum, hum, je comprends. Seigneur, ça doit être si dur pour toi, je ne peux même pas imaginer.

MARIA. – Ça peut aller, on se débrouille.

Martha serre à nouveau Maria dans ses bras.

MARTHA. – J’attends un coup de fil de Sasha au sujet de l’identification. Et nous irons ensemble demain. Je serai à vos côtés.

Maria, évasive. – Sasha a dit...

MARTHA. – Un brave homme ce Sacha, il a fait tant d’efforts pour se renseigner, pour les retrouver. Sortir les corps… Il était absolument impossible de s’y rendre, les combats se poursuivaient. J'ai vu une émission à la télé sur la façon dont les volontaires sortaient les corps après les bombardements. Et Sasha a tout fait, il y est allé lui-même, il a fini par le retrouver...

MARIA. – Voilà votre café.

MARTHA. – Les funérailles seront probablement au Monastère Mikhailovskiy. C'est là que se passe d’habitude les hommages aux héros. J'ai l’ai lu. De là, le cortège funèbre descend jusqu'à la place Maïdan.

MARIA. – Vous voulez visiter l'appartement ? Tu n'es pas venue depuis longtemps, n'est-ce pas ?

MARTHA. – 12 ans déjà. Je vois que les choses ont beaucoup changé depuis.

MARIA, s’anime – Un écrivain, vous le savez bien, n'a besoin de rien ! Les murs étaient tout écaillés, la cuisine datait de l’Urss ! Quand nous avons commencé à sortir ensemble, je le lui ai carrément dit : je suis une professionnelle, je vais tout mettre en ordre. Mais il fallait tout jeter. Tout ce qui restait de maman. De vous... Tenez, regardez, que des couleurs pastel, pêche, et ici un assortiment au vert pistache.

Martha serre Maria dans ses bras de manière impulsive. Maria est mal à l’aise, les bras ballants, elle se libère de cette étreinte.

MARIA. – Notre appartement a même été montré dans « Elle-Décoration ». Et j'ai même reçu un prix pour ça en tant que designer.

MARTHA. – C’est joli.

Maria ouvre la porte de la chambre d'enfant, il y a un seau de peinture et un mur à moitié peint.

MARTHA. – Attends, mais pourquoi la chambre est bleue, avant elle était rose, je me trompe ?

MARIA. – Comment vous le savez ?

MARTHA. – Eh ben, il m’a envoyé des photos. M’en a parlé. Que sa fille a une chambre rose.

MARIA. – Je l'ai repeinte. Pour m'occuper. Je n’arrive pas encore aller au travail.

MARTHA. – Ma pauvre.

Martha la serre à nouveau dans ses bras.

MARIA, se libère. – Allons voir son bureau. Voilà ! Portes parisiennes. Elles viennent de là-bas, vintage. Ma fierté. Etagères en hêtre vieilli.

MARTHA. – Max, bien sûr, ne méritait pas un tel bureau. Avec un tel bureau, il aurait pu décrocher un Pulitzer. Mais il n'a pas écrit... Pas eu le temps

MARIA. – Voilà tous ses manuscrits.

Maria prend un classeur, l'ouvre, feuillette.

MARTHA. – Je l'ai lu. Il me l'a envoyé. Ecrit dans la tranchée. Les brouillards, les cigognes à l'aube, les meules de foin, la pêche au milieu des mines. Un poète ! Aurait pu être un nouvel Hemingway. Comment ont-ils pu envoyer au front des gens comme Max !

MARIA. – Il ne pouvait pas ne pas y aller.

MARTHA. – Comment ça, il ne pouvait pas ! Bien sûr qu'il aurait pu. Mais non, il y est allé tout seul comme un grand. Même pas capable de sortir la poubelle, il restait allongé sur le canapé en train de lire. Et là, le voilà qui y va avec une mitraillette ! Je lui ai dit attention de pas la faire tomber ! Il aurait pu prendre la tangente comme tous ses amis. Tout comme Sasha.

MARIA. – Sasha est un petit malin.

MARTHA. – Il aurait pu faire jouer ses contacts. Ou bien donner de l'argent. Il y en a plein de ces mecs qui ont fui le pays en traversant à la nage la Tisza. Ou bien ils ont payé 10 000 euros en pot-de-vin et c'était réglé !

MARIA. – Lui, il n’a pas voulu.

MARTHA. – D'accord, je suis désolée, j’imagine que tu as dû penser à tout ça aussi.

MARIA. – Remettez bien le manuscrit à sa place, comme il était.

Martha continue de feuilleter le manuscrit.

MARTHA. – Seigneur, tout ce qu’il aurait pu écrire. Faire. Et voilà qu’il est mort. Presque au première combat.
MARIA, brusquement. – C'est pas comme ça qu’il était placé. Voilà comment !

Maria devient brusquement méchante. Martha recule quand elle s'en rend compte et prend place dans un fauteuil.

MARTHA. – Au fait, t’aurais pas un truc à boire ? Max avait toujours du whisky.
MARIA. – Je vais voir.

Maria sort, Martha se lève, passe sa main sur le dos des livres.

MARTHA. – Eh ben voilà. C'est fini. Et voilà, c'est fini...

Maria apporte un verre, Martha le vide d’un trait.

MARTHA. – Demain, c’est l'identification. Il faut s’y préparer. Même si Sasha dit que le corps est bien conservé. Il a déterré le corps avec ses mains pour qu’il reste bien entier. Heureusement qu'il était recouvert de sable. Il dit qu'il est bien conservé. Comme s'il était endormi.

MARIA. – Je n'irai pas.

MARTHA. – Comment ça ? Tu es sa plus proche parente. Il faut bien l’identifier.

MARIA. – Il faut pas.

MARTHA. – Oh. Je comprends. Je comprends combien c’est dur pour toi. Mais il le faut.

MARIA. – Non, il ne le faut pas. Parce qu'il est vivant.


[...]

juillet 2024



 


shapochka

À la mémoire de
Yaroslav Shapochka
(disparu au combat le 21 mars 2023
près de Soledar - région de Donetsk)





Personnages

Maria, épouse de Max, 33 ans.
Martha, ex-épouse de Max, 47 ans.






Scènes

SCÈNE 1. ARRIVÉE
SCÈNE 2. RÉSURRECTION
SCÈNE 3. TATOUAGE
SCÈNE 4. CUCLA
SCÈNE 5. DÎNER
SCÈNE 6. LECTURE
SCÈNE 7. TÉLÉVISION
SCÈNE 8. PILES
SCÈNE 9. PIG AND MUCK
SCÈNE 10. NUIT
SCÈNE 11. ALARME
SCÈNE 12. LEVAGE
SCÈNE 13. ALCHIMIE
SCÈNE 14. DÉPART
EPILOGUE

















denisova

Barcelone, janvier 2025



Sasha Denisova

Née en Ukraine.
Dramaturge, metteuse en scène,
romancière, scénariste et pédagogue.
Vit à Moscou jusqu'au printemps 2022.
Réside d'abord en Pologne, puis en Espaggne
Diplômée de la faculté de philologie de l'université Shevchenko de Kyiv.
Ecrit plus de 30 pièces documentaires
et met en scène plus de 25 spectacles à Moscou
au TEATR.DOC, au Centre Meyerhold,
au Théâtre Mayakovsky, au Théâtre des Nations.















 

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