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EVGUENI GRICHKOVETS

Notes d'un voyageur russe

traduction Elena Tailfer


Extrait du texte

Dialogue I

Toute l’action se déroule dans les endroits les plus divers.

Le premier. - Tu sais… J’ai été volé…
Le deuxième. - Quand ?
Le premier. - Hier, au matin…m-e-erde !
Le deuxième. - C’est pas vrai…Comment ça ?
Le premier. - Ben…Dans l’aéroport Domodiedovo. Je suis arrivé seulement hier. Et voilà…
Le deuxième. - On t’a volé tes affaires ?
Le premier. - Mais non, mon argent… Ah c’est trop bête.
Le deuxième. - Beaucoup ?
Le premier. - Pas vraiment beaucoup, mais quand même…
Le deuxième. - On t’a volé beaucoup ?
Le premier. - Oh ! On m’a volé c’est tout…
Le deuxième. - On t’a volé beaucoup d’argent ? Pourquoi tu ne peux pas le dire clairement ?
Le premier. - Tout.
Le deuxième. - Qu’est ce que ça veut dire « tout » ?
Le premier. - Tout ce que j’avais sur moi, - on m’a tout volé. Tout ce qu’on m’a payé pour mon dernier travail, - tout. Bien sûr, tu sais bien, la somme n’était pas si astronomique…
Le deuxième. - Et bien… Bravo !
Le premier. - Pourquoi bravo ?
Le deuxième. - Tu as fait du stop à Domodiedovo ? C’est ça ?
Le premier. - Mais non, non, pas tout à fait… No-o-on… M-e-erde ! On m’a roulé… dans les toilettes… qu’est ce que c’est bête. M..m..m…
Le deuxième. - Oh, arrête… Tu es sûrement monté dans une voiture et c’est là que quelqu’un a sorti « comme par hasard » des cartes… C’est ça ?
Le premier. - Ben…
Le deuxième. - Ou une loterie…, non, plutôt, tu es monté dans une voiture… Et puis on t’a… le coup classique.
Le premier. - Ca suffit comme ça… m-e-erde ! J’aurais pu…et la loterie, et la voiture…, tout ça… Mais on m’a…dans les toilettes. J’étais très fatigué… Zut ! Et en plus, je me suis dit, peut être, il vaut mieux attendre d’aller aux toilettes. Etonnant ! Dès que tout a été fini et tout de suite… Tout de suite tout est devenu limpide… Tout s’est éclairci… Ouf… Tu sais… Ca fait deux jours que ces instants me tournent dans la tête. Tout était à première vue normale – première scène… Et tout d’un coup, bam ! – ça m’est arrivé et c’est tout, on n’y peut rien…, ça y est – terminé.
Le deuxième. - Il y avait beaucoup d’argent ?
Le premier. - Ce n’est pas ça qui est important… ! Tu comprends ? Maintenant, je vois tout, comment on m’a manipulé, comment ils ont compris que j’étais fatigué, que j’avais de l’argent…Oh la la ! Quels artistes, mais quels artistes ! Dès qu’on m’a arraché l’argent, il y a eu une telle agitation…Tout était… je ne sais pas…incompréhensible… Et puis, terminé… Les dernières quinze minutes, tout était très clair… Quel imbécile j’ai été, tu comprends…, j’aurais pu tout comprendre, c’était cousu des fils blancs… je me suis fais avoir comme un bleu.
Le deuxième. - Et pourquoi tu pleures comme ça ? Tu n’avais pas beaucoup d’argent ? C’est ça ? Ou beaucoup alors ?
Le premier. - Je ne sais pas, pour moi, beaucoup. Ce n’est pas ça qui est important…, bien que, évidemment, il m’aie été utile en ce moment. Dommage. J’ai quand même travaillé… Mais le problème n’est pas là… C’était mon argent… Ecoute, laisse-moi terminer, d’accord ?
Tu comprends, ils ont vu tout de suite que j’étais fatigué. Comment dire, … fatigué, plongé dans mes pensées, je ne faisais pas attention…fatigué.
On m’a proposé de rentrer… en voiture… pas cher. Un jeune homme, bien habillé, l’air, …je ne sais pas…, préoccupé, comme quoi il était venu chercher quelqu’un. Il m’a proposé de me ramener de Domodiedovo jusqu’à Moscou, que cet aéroport aille au diable…, il regardait aux alentours comme s’il cherchait quelqu’un qu’il connaissait et il m’a dit :  «  je t’emmène jusqu’au métro ». Il m’a demandé d’attendre à côté. Ce n’est que plus tard que j’ai compris, qu’il me menait en bateau. Pourquoi avais-je accepté…? C’est que je ne l’avais jamais fait auparavant ! Aie aie aie ! Je disais toujours :  « Non, merci, pas la peine ». Et voilà, j’attends, un type s’approche, des lunettes très chères, ça se voit tout de suite, habillé hors saison, bronzé. Il me demande : « Excusez-moi, vous ne savez pas comment aller à l’aéroport Cheremetievo ? J’arrive d’Israël, on m’attend là-bas et j’ai atterri ici. Ça fait longtemps que je suis pas revenu au pays natal et tout de suite des surprises ». C’était bidon évidemment. C’est évident maintenant, mais sur le moment, je me suis lancé dans de longues explications. Et là, il y en a un autre qui s’approche. L’air d’un typique sibérien en voyage d’affaire : chapka de fourrure, lunettes en plastique, veste de cuir noir crottée, serviette gonflée et sac ridicule… « Je suis pour la première fois à Domodiedovo… quel est le moyen le plus simple pour aller à l’hôtel « Minsk » ? » Surtout, je me souviens que c’était « Minsk ». Alors, j’ai décidé de prendre l’autobus et en plus, le jeune homme avait disparu quelque part. Je dis : « Si j’allais aux toilettes, les gars, sinon… la route est encore longue… Ce maudit Domodiedovo de diable. » Celui d’Israël : « Une excellente idée, elles me manquaient, les toilettes natales. » Et le « sibérien »… Maintenant, je réalise que c’était le « sibérien » qui était parti le premier comme s’il nous guidait non pas vers les toilettes les plus proches, mais vers celles qui étaient dehors, souterraines, à gauche sur la place. Comment ? Mais comment ont-ils su qu’il y avait de l’argent dans ma veste ? Peut-être que je tâtais ma poche… de temps en temps… Là-bas, dans les toilettes, il y avait encore quelqu’un de leur bande… je ne sais pas, encore un ou plus. J’étais debout, à côté du pissoir, les mains occupées, enfin tu comprends… Et puis, une agitation… Et hop… Quelqu’un a retenu mes coudes, hop la, et c’est fait. Et tout est devenu limpide. J’ai… j’ai même oublié de respirer. Et ce juif « Quoi, qu’est ce qui s’est passé ? » Mais moi, j’avais déjà tout compris, à son sujet aussi. Et après, je me suis mis à rire, bêtement, tu sais, pour montrer que ça ne me faisait rien… Mais Dieu seul savait ce qui se passait dans ma tête. A ce moment-là, un policier est descendu dans les toilettes : « Alors, qu’est ce qui se passe ici, qui a appelé ? » Et il me regarde, tu comprends, pas la peine d’essayer, lui aussi, il était avec eux. Et moi, je ris d’un rire affecté, peu naturel. « No..o..on, je dis, il ne s’est rien passé, on ne m’a rien volé, non. » Et là, il me dit, tu va pas me croire : « Comportez-vous convenablement ! »… T’as tout compris !
Le deuxième. - Et alors ?
Le premier. - J’ai fais un clin d’œil au juif et je suis allé à la gare RER, je me suis débrouillé pour ne pas payer le train, et puis, le métro… M..m..merde.




 
voyageur russe

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cote NOVAIA : NRU 94









  

Pièce en 5 dialogues


Personnages

Le Premier, Chmelev Alexandre Nicolaevitch
Le Second, Rodkine Ilia Iakovlevitch
(Trente ans, amis d''enfance, cultivés.)



grichkovets

Evguéni Grichkovets, 2002



 

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