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VASSILLII SIGARIOV

Goupiochka

traduction Aline Botteman


Extrait du texte

TAMARA : Oh là là, je me sens tellement mal à l'aise. J'imagine ce que vous pensez de moi...
PACHA : Je pensais au tire-bouchon.
TAMARA : A quoi ?
PACHA : On a besoin d'un tire-bouchon. Vous voyez (il montre la bouteille). Essayons d'ouvrir la bouteille.
TAMARA : Euh, oui, oui. C'est vrai. Je suis tellement distraite. C'est terrible... On l'ouvre, donc, c'est ça ?
PACHA : C'est ça... Essayons.
TAMARA : J'arrive. Une seconde. Je vais-je reviens. Une seconde. Vous attendez ?
PACHA : J'attends.
TAMARA : Je suis là dans une seconde. Je vais-je reviens. Mais vous ne partez pas, d'accord ?
PACHA : Je ne pars pas.
TAMARA : Merci.
PACHA : Pour quoi ?
TAMARA : Quoi ?
PACHA : Merci pour quoi ?
TAMARA : Pour ça... Je ne sais pas. Juste comme ça, comme dans le dessin animé, vous vous souvenez ? Et pour quoi ? Juste comme ça. (Elle rit.)
PACHA : Vous alliez chercher un tire-bouchon... Essayons d'ouvrir la bouteille.
TAMARA : Aïe, c'est vrai. Quelle tête de linotte. C'est sûrement la première fois que vous en voyez une pareille ?
PACHA, hésitant : Heu...
TAMARA : Chut. Dites : j'en ai déjà vu. (Pause.) Allez, dites. J'en ai déjà vu.
PACHA : Bon, j'en ai déjà vu.
TAMARA : Où ça ?
PACHA : Je sais plus.
TAMARA : Non. C'est pas ça que vous devez dire. Dites : j'en ai vu une au zoo ... Dites...
PACHA : Pourquoi ?
TAMARA : Dites. Après vous verrez.
PACHA : Mais je ne veux pas...
TAMARA : Dites, dites...
PACHA : Bon, j'en ai vu une au zoo.
TAMARA : Je vous y ai vu aussi. Vous étiez dans la cage d'à côté. (Elle rit.)

Pause

PACHA : Vous vouliez apporter un tire-bouchon... Essayons d'ouvrir la bouteille.
TAMARA : Quoi, c'est pas drôle ?
PACHA : Mais si. C'est drôle.
TAMARA : Alors pourquoi vous ne riez pas ?
PACHA : Je ris. En moi-même.
TAMARA : Comme un hypocrite ?
PACHA, s'énerve, se trémousse : Non. Où allez-vous chercher ça ? Simplement je... Enfin comment dire ? J'aurais bien ri, mais l'ambiance ne s'y prête pas.
TAMARA : Vous voulez peut-être mettre de la musique ? On a des disques. À la mode. Des contes aussi. De Pouchkine et des contes populaires. Vous aimez les contes ?
PACHA : Les contes ? Oui, sans doute.
TAMARA : J'en mets alors ?
PACHA, soulevant un peu la bouteille : Et le tire-bouchon ? On ne voulait pas ouvrir la bouteille ?
TAMARA : Aïe, c'est vrai. Je n'ai aucune mémoire. Comme les poules. Merci de me le rappeler. J'arrive. Je vais-je reviens. Une seconde. Vous ne partez pas ?
PACHA : Je ne pars pas.
TAMARA : Promis ?
PACHA : Promis.
TAMARA : Merci.
PACHA : Pour... De rien.
TAMARA : Ne partez pas. D'accord ? (Elle marche à reculons vers la porte.)
PACHA : Je ne pars pas.
TAMARA : Ne partez pas. (Elle sort.)

Pacha soupire. Sans lâcher la bouteille, il s’essuie le front de l’avant-bras. Il regarde la bouteille, fait des signes interrogatifs de la tête.

Tamara revient. Elle tient quelque chose dans la main.

TAMARA : Qu’est-ce que vous avez ?
PACHA : Moi ? C’est… J’ai une… Une crise.
TAMARA, effrayée : Epilepsie ?
PACHA : Heu… Presque.
TAMARA : Il faut vous allonger tout de suite. Allongez-vous.
PACHA : Pourquoi ?
TAMARA : Allongez-vous, ne posez pas de questions.
PACHA : Mais je ne veux pas m’allonger.
TAMARA : Allongez-vous, ne discutez pas. (Elle le couche, toujours avec la bouteille, sur le canapé.)
PACHA : Je n’ai pas besoin de m’allonger.
TAMARA : Vous en avez besoin. L’épilepsie, vous savez, c’est perfide. Vous êtes là, tranquille… vous êtes là et puis vous tombez la tête contre quelque chose.
PACHA : Chez moi ça ne se passe pas comme ça. Je ne tombe pas.
TAMARA : Vous tombez.
PACHA : Je vous dis, je ne tombe pas.
TAMARA : Vous tombez.
PACHA : Mais qu’est-ce que vous racontez ? Je ne tombe pas
. TAMARA : Ne discutez pas. Avec l’épilepsie, tout le monde tombe. C’est même comme ça qu’on l’appelle. « Le mal caduc ».
PACHA : Je ne suis pas tout le monde. Je ne tombe pas.
TAMARA : Vous tombez. Simplement, vous ne vous en souvenez pas. Quand une crise commence, vous tombez, après vous vous relevez et vous ne vous souvenez de rien. Et vous bavez encore. Mais vous ne vous en souvenez pas non plus.
PACHA, essaie de se lever : Mais qu’est-ce que vous radotez à la fin ? Quelle bave ? Je suis quoi, moi, selon vous, un anormal ?
TAMARA : Non, vous êtes normal.
PACHA : Alors pourquoi je devrais baver ? Je suis quoi ? Un enragé ?
TAMARA : Tous ceux qui ont ça bavent.
PACHA : Qui ça ?
TAMARA : Ceux comme vous.
PACHA : Ceux comme moi ? Les anormaux ?
TAMARA : Les normaux. Mais qui tombent.
PACHA : Je ne tombe pas. Combien de fois je vais devoir vous le dire ?
TAMARA : Vous tombez.



 
goupiochka

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cote NOVAIA : NRU 95










Comédie,
ou peut-être tragédie,
en deux actes


Personnages

Pacha, 40 ans
Tamara, 38 ans
Léonid, son mari, 40 ans















sigariov

Vassilii Sigariov, 2002



 

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